Usage Textile

 

Histoire

L’utilisation textile de l’ortie a laissé des traces à travers toute l’Europe (en France, Italie, Finlande et surtout en Allemagne) pour réaliser des vêtements, toiles, cordages, etc… Ont été retrouvés dans l’équipement de la momie Ötzi, datant du Chalcolithique (entre -3350 et -3100 av J.-C.), découverte sur un glacier entre l’Autriche et l’Italie en 1991, le fourreau d’un couteau en silex réalisé à partir de fibres d’ortie et des pointes de flèches qui étaient fixées sur leur hampe par ces mêmes fibres (Bertrand 2010; Tissier 2011). La culture de l’ortie pour l’usage textile était déjà répandue à travers l’Europe au néolithique. Il a été découvert au Danemark des linceuls datant de l’âge du bronze (vers -1600 av J.-C.) tissés avec des fibres d’ortie (Swerdlow 2000; Bertrand 2010; Tissier 2011). L’introduction de la culture de la ramie en Europe est due à l’empire Romain. Elle y sera cultivée pour sa fibre jusqu’au XIXème siècle (Bertrand 2010).

Au Moyen-âge, l’ortie était utilisée pour vêtir les paysans pauvres. Jusqu’au XIXème siècle, le trousseau des jeunes mariées écossaises comprenait des draps et des
nappes en fibres d’ortie (Tissier 2011). La fibre d’ortie était utilisée par les Aïnous, une tribu du Japon pour confectionner leur costume traditionnel (Swerdlow 2000).
L’industrie textile de l’ortie connut son apogée en Allemagne et dans quelques régions françaises, notamment à Angers où l’on fabriquait une toile de très bonne qualité entre le XVème et le XVIIème siècle, avant de décliner mais sans jamais disparaître totalement.
En Haute-Savoie, la toile d’ortie était utilisée pour réaliser des torchons très résistants de couleur verdâtre qui blanchissaient au lavage (Moutsie 2002; Bertrand 2010; Tissier 2011). Des trousseaux de linge de maison en fibre d’ortie étaient offerts aux jeunes mariés, qui se sont transmis de génération en génération et que l’on pouvait encore retrouver au début des années 2000 dans certains foyers (Bertrand 2010).
Elle servit en 1812 pour habiller la grande armée napoléonienne, puis fut ensuite délaissée au profit du coton qui était plus facile à exploiter. En Allemagne on en retrouve des traces jusqu’à la 1ère guerre mondiale où elle a été utilisée pour confectionner les uniformes allemands, les toiles de tente et leurs sacs vu que le coton était difficile à obtenir durant cette période (Swerdlow 2000; Moutsie 2002; Bertrand 2010; Tissier 2011; Delvaille 2013).
Pendant la seconde guerre mondiale, le tissu non blanchi de couleur verte servit à fabriquer des parachutes, ainsi que des filets de camouflage britanniques, utilisés lors de la préparation du débarquement de Normandie (Moutsie 2002; Bertrand 2010; Tissier 2011).
Dans l’après-guerre, l’un des derniers usages connus de la fibre d’ortie dioïque fut
l’incorporation de ses fibres dans les serpillières (Bertrand 2010).
Le déclin de l’usage textile de l’ortie est lié à la difficulté d’obtention de sa fibre qui n’est pas entièrement mécanisable, au coût de la main d’oeuvre, ainsi qu’au faible rendement de la plante en fibres.

Caractéristiques de la fibre d’ortie

L’utilisation textile de l’ortie fait surtout référence à la ramie ou « ortie de Chine »
(Boehmeria nivea.L Urticaceae) dont l’utilisation dans ce domaine est très répandue et remonte à loin puisque les égyptiens s’en servaient pour embaumer leurs morts. Mais la Grande Ortie a longtemps été et continue toujours à être utilisée de nos jours pour l’usage textile (Boullard 2001; Moutsie 2002; Bertrand 2010; Tissier 2011; Delvaille 2013).

La grande ortie produit 6 à 8 % de fibres, ce qui est moins que le chanvre ou la ramie. Il lui est attribué le surnom de « soie végétale ». La fibre d’ortie obtenue mesure entre 10 et 20 mm, et parfois jusqu’à 25 ou 26 mm (Bertrand 2010). La fibre est large et creuse, ce qui la rend isolante et d’une résistance à toute épreuve. Elle présente un aspect brillant qui rappelle celui de la soie. La façon dont elle est travaillée permet d’obtenir différentes sortes de tissus. Lorsqu’elle est tordue sur elle-même, elle s’apparente à du coton. L’air étant expulsé du creux de la fibre, on obtient un tissu aéré et léger. Au contraire, lorsqu’elle n’est que peu tordue sur elle-même, elle se rapproche beaucoup plus de la laine. L’air resté emprisonné à l’intérieur de la fibre sert d’isolant thermique ce qui permet de résister au froid. Ses capacités d’isolation sont mêmes supérieures aux tissus synthétiques ( Site n°17 2014; Site n°16 2014; Vetillart 1876; Collectif 1981; Kremer 2001; Moutsie 2002; Tissier 2011; Delvaille 2013).

Méthode d’extraction de la fibre d’ortie

Cette méthode est comparable à celle utilisée pour les autres plantes textiles comme le chanvre et le lin, à savoir : le rouissage, le battage et le broyage, le teillage et le filage.
– Les tiges d’orties sont récoltées à maturité vers août-septembre : les feuilles vont se
faner, les tiges se colorent de jaune ou de rouge, et les graines mûres chutent.

– Les tiges sont ensuite laissées à sécher pendant à peu près 2 jours afin que les feuilles tombent. A la fin de ces 2 jours, la tige est séparée des éventuelles feuilles toujours présentes avant de passer à l’étape suivante.
– Vient ensuite l’étape de rouissage : cette étape consiste à faire tremper les plantes entières dans un bassin à 50-60° C jusqu’à ce que les substances pectiques qui relient les fibres entre elles soient détruites par fermentation. Les fibres peuvent alors être séparées des parties ligneuses. Cette étape est particulièrement odorante chez l’ortie. Elle va durer 6-7 jours, au cours de laquelle il faudra remplacer l’eau tous les jours si l’on ne veut pas entraîner de putréfaction qui pourrait diminuer la qualité des fibres. Pour faciliter cette étape il est possible d’opérer dans une eau courante.
– L’ortie est mise à sécher puis va subir l’étape de battage et de broyage : ces étapes vont permettre de briser les parties ligneuses. Le battage est réalisé au sol à l’aide de maillets de bois. Le broyage se fait manuellement ou bien mécaniquement sur des chevalets munis de couteaux en bois appelés broyes qui permettent de ne pas couper la fibre.
– Arrive la dernière étape de teillage, constituée de peignages successifs qui permet de débarrasser la fibre de toutes ses impuretés et d’obtenir une filasse brute qui sera stockée au sec. La fibre va être filée, de manière à obtenir un fil solide de grande taille qui sera ensuite tissé pour confectionner des tissus (Heuzé 1862; Moutsie 2002; Bertrand 2010; Tissier 2011; Masson 2014).

Usage moderne

De nos jours, cette fibre est encore utilisée pour différents usages. Ainsi, à Lüchow en Allemagne, une usine qui est d’ailleurs la seule d’Europe, s’est spécialisée dans la fabrication de tissus d’ortie (linge de maison, chemises, pantalons…). Les tissus fabriqués ne sont pas constitués à 100 % de fibres d’ortie, mais d’un mélange où l’ortie n’est qu’en faible proportion. Cela suffit pourtant à renforcer la qualité de ces tissus (Bertrand 2010; Tissier 2011).
Un autre projet similaire à celui-ci a vu le jour en Angleterre. Ce projet nommé The Sting Project rassemble un consortium de 7 partenaires universitaires et entreprises industrielles, coordonné par le professeur Raymond Harwood et son équipe de recherche de l’université de Montfort à Leicester. Voici les objectifs de ce projet :
– Comparer les qualités des variétés d’orties du Royaume-Uni avec les clones
européens.
– Etudier la physiologie de l’ortie.
– Etudier la chimie et la mécanique des modes d’extraction des fibres d’ortie.
– Mettre au point une technologie d’extraction de la fibre.
– Mettre au point une technologie de transformation de la fibre (filature et tissage).
– Etudier l’impact des cultures d’orties sur l’exploitation agricole (biodiversité).
– Evaluer les potentiels d’utilisation de la fibre d’ortie dans les divers secteurs de
l’industrie.

La fibre obtenue par les Anglais est une filasse très fine, souple et aérée, d’une blancheur parfaite, dont le procédé de fabrication a été breveté. Cette filasse, malgré sa qualité, présente un aspect visuel et un toucher moins agréable à la première impression (Bertrand 2010).
Depuis 2006 en Italie, et plus précisément en Toscane, des chercheurs se sont penchés sur la culture de l’ortie, et sur les processus de filage de cette dernière. Leurs expériences portaient sur l’extraction de la fibre par des méthodes naturelles et chimiques. La fibre obtenue dans lesdeux cas était robuste, résistante et d’une grande élasticité (Tissier 2011).
En Allemagne, l’Institut de recherche appliquée de l’Ecole supérieure professionnelle de Reutlingen s’est intéressé à de nouvelles variétés dont le rendement en fibre était supérieur à celui des orties sauvages (20% contre 8%) (Tissier 2011).
Ce regain d’intérêt pour l’usage textile de l’ortie pourrait s’expliquer par la volonté écologique croissante apparue dans les dernières décennies. Sa culture ne demande aucun produit polluant. L’extraction de cette fibre naturelle et biodégradable est beaucoup moins polluante que celle du coton ou du chanvre par exemple. De plus les résidus après extraction de la fibre sont une source de biomasse et peuvent être utilisés pour produire de l’alcool éthylique (Tissier 2011).
On retrouve également son utilisation dans la filière fromagère, où elle est utilisée pour réaliser de fines toiles solides (étamines) qui servent à égoutter les fromages. Cela permet un égouttage plus homogène et un meilleur drainage du petit lait. L’aspect final de la croûte en est amélioré et présente moins d’aspérités. Le risque de contamination bactérienne est plus faible et l’entretien des fromages en est facilité (Moutsie 2002; Bertrand 2010; Tissier 2011).

source: https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01232406